
J’ai choisi le rugby : Histoires d’un choix !
Dans le Tarn, le club de Sor Agout XV est réputé pour sa formation. En ce jour d’école de rugby, trois terrains sont occupés, dont l’un réunissant des jeunes du département lors d’une formation sur l’arbitrage. Les trois copains de M14 Louis, Leindon et Hugo sont licenciés au Castres olympique (CO) et apprécient la matinée autour du sifflet. « Mon grand-père m’a fait découvrir ce sport quand j’avais 4-5 ans, se remémore sans trop d’efforts Leindon. Il m’a transmis sa passion. » Idem chez les filles avec Louane. « Je baigne dans le rugby depuis toute petite, confie-t-elle. Ils jouent beaucoup dans ma famille. Au milieu de la natation, du judo, de la danse ou du poney, c’est le rugby que j’ai choisi. Pourquoi ne pas jouer en Élite 1 un jour ? »
Les parents tracent souvent la voie, ne comptant plus les kilomètres entre deux entraînements et trois plateaux. Toujours dans le département 81, madame Carnyne se souvient des débuts de sa petite dernière, Théa, M8, alternant dans la semaine rugby et… danse classique. « C’est très complémentaire pour elle, sourit la maman. Son père, son frère (M12) et sa sœur aînée jouent ou ont joué au rugby. Elle suit la lignée. Et puis, la proximité, l’esprit familial et le fait d’avoir ses copains d’école au club sont d’autres arguments pour elle. C’est un joli petit noyau d’amitié qui se construit. Au rugby, elle apprend l’esprit d’équipe et la coordination. » Théa, qui fête son anniversaire ce jour-là, ne dit pas autre chose : « Je fais du rugby comme mon frère et de la danse comme ma sœur. »
Du côté de Sucy-en-Brie en région parisienne, le même argument est aussi avancé par Sandy Tavares : « Mon fils Sandro joue au rugby notamment parce que son père faisait du rugby. Il a “chopé” la passion de son papa. Et maintenant, cela fait quatre ans qu’il joue. » En Corrèze, l’École de Rugby Causse Corrézien accueille aussi à Larche des nouveaux dans son terroir. « J’ai grandi dans le club où mon papa était joueur, narre Sophie Coustillas, secrétaire de l’école de rugby de l’ERCC et dont le fils, Johan, joue en M14. Un samedi matin, j’ai amené mon fils de 8 ans à un entraînement juste pour lui montrer et ça lui a tellement plu qu’il n’a jamais arrêté. Il y a des valeurs dans ce sport et, chaque saison, le club met en place de plus en plus de choses pour les jeunes qui font que tout le monde se sent de mieux en mieux. »

J’ai choisi le rugby !
La FFR déploie une ambitieuse campagne de communication « J’ai choisi le rugby », à destination des parents pour leurs enfants, au service des clubs de…
La famille, un vecteur essentiel
À quelques mètres de là, Tristan Galatry, papa de Paul, qui fait sa seconde rentrée en M10, rappelle la passion de son fils pour le rugby : « Il est content, a envie de reprendre et de retrouver ces copains qui ne sont pas forcément les mêmes qu’à l’école. Mon ex-beau-père et moi-même avons joué au rugby. Cela a peut-être motivé mon fils Paul (M10 à l’ERCC à Larche) à jouer aussi. Ce sport a toujours proposé un esprit collectif, amical. C’est une deuxième famille. »
La famille, un vecteur essentiel que souligne Mathilde Julla-Marcy, sociologue, maîtresse de conférences mais aussi responsable pédagogique du master 1 en management du sport et directrice adjointe du Centre nantais de sociologie. Elle explique que le rugby fait partie des sports que l’on fait selon nos parents : « Avec une certaine transmission familiale, explique la Toulousaine d’origine. Le rugby en fait partie quand d’autres sont plus spontanés. Parfois, il peut aussi y avoir l’effet inverse : le rejet. »
Sylvie Bossy-Guérin, professeure d’histoire-géographie au lycée Julien-Gracq de Beaupréau (49) et doctorante au CRHIA de Nantes Université, a beaucoup lié sa matière d’histoire-géo au sport, dont le rugby. « La filiation est un élément incontournable au gré des ans et de mes interviews depuis l’existence de ce sport en France », argue-t-elle, dans un trait d’union riche entre hier et aujourd’hui.
Suivre les copains
Faire comme son copain ! C’est la deuxième raison pour laquelle les jeunes viennent au rugby, explique Olivier Barbin, responsable de l’école de rugby depuis trois saisons tout en étant licencié à Sor Agout XV depuis vingt ans : « Ce sont surtout les copains qui ramènent des copains, et surtout des copines entre elles d’ailleurs. Ils viennent s’amuser et on est fiers de pouvoir les former avec ce travail de longue haleine. » Pas peu fier avec son maillot de l’équipe de France sur les épaules, Baptiste (CO) a lui aussi suivi son camarade. « J’avais 6 ans et j’ai rejoint mon copain Dorian qui, depuis, est parti dans un autre club. Ce sport m’a plu et je voyais que je progressais. » Non loin, avec son maillot des Chiefs, Thibault cumule presque toutes les raisons. « J’ai aussi commencé le rugby grâce à des copains vers mes 6 ans. Mon père adore aussi ce sport et moi-même, j’adore notre club du CO qui me motive pour peut-être un jour passer pro. »
En tant que sociologue, Mathilde Julla-Marcy analyse ce phénomène. « À toutes les époques, la sociabilité reste un enjeu central pour les jeunes, en particulier les adolescents. On voit souvent des groupes d’amis changer ensemble de club ou même de sport, comme une petite tribu. La discipline compte alors moins que la force des liens amicaux. » L’amitié rugbystique tient aussi des origines lointaines. « J’avais interviewé un joueur de rugby dont le père avait été résistant et déporté durant la guerre, narre Sylvie Bossy-Guérin. Ce dernier avait continué à jouer au rugby jusqu’à 75 ans pour le plaisir de retrouver ses copains, ses amis. Des décennies plus tard, je demandais à l’une de mes élèves pourquoi elle arborait le maillot du club de Clisson, au sud-est de Nantes. Elle m’a répondu qu’elle ne connaissait que ça et qu’elle appréciait y aller voir des matches avec ses copains. »
Scolaire et proximité
Le fait de découvrir ce sport à l’école peut créer des vocations. Les enseignants ont longtemps été et sont encore des ambassadeurs naturels de ce sport. « Un rapport sur le sport scolaire en 1899 précise déjà le rôle essentiel des instituteurs pour la pratique du sport », rappelle Sylvie Bossy-Guérin. Mais de nos jours, pour que le trajet école-club soit aisé, il faut peu de kilomètres ou de temps de trajet. D’où l’intérêt de disposer d’un bon maillage du territoire afin d’avoir au moins un club de rugby à moins de 20 minutes du domicile ou de l’école, voire de solutions de covoiturage. C’est le cas ici en Corrèze avec l’ERCC où de nombreux jeunes viennent au rugby à la suite d’une action scolaire.
C’est le cas de Christelle Leymarie, maman de Gabin (M12). « La saison dernière, il jouait au foot et au hand, après avoir débuté par le rugby. Il adore les sports co. Il a fait un stage de rugby avec son école, ce qui, ajouté à l’idée de retrouver certains copains, l’a motivé. En tant que maman, je suis un peu inquiète des côtés contacts de ce sport. D’ailleurs, je lui avais prévu un casque, mais il l’a enlevé au bout de quelques minutes. Tout cela est compensé par le fait qu’il est dans un bon club très famille. » Tout le travail de la Fédération, des Ligues, des CD et des clubs pour s’ancrer durablement dans le sport scolaire fait sens. « L’une des grandes voies d’entrée au handball est le sport scolaire, n’oublie pas Mathilde Julla-Marcy. Il y a de nombreux terrains de hand dans les établissements. Le rugby y trouve progressivement sa place, et la pratique scolaire contribue à adoucir l’image parfois rugueuse de ce sport. »
Pour faire comme leurs idoles
Parmi les raisons avancées pour essayer le rugby avant de l’adopter, il y a l’idolâtrie. Qui n’a pas eu le poster de son héros dans sa chambre ? Qui n’a pas rêvé des démarrages d’Antoine Dupont ou des courses de Joanna Grisez ? Qui n’a pas demandé à Noël ou à son anniversaire un maillot de l’équipe de France ou de son club favori floqué de son numéro préféré comme Louis, jeune joueur du Castres olympique ? « Je regardais le rugby à la télé, notamment le CO et Rory Kockott. Ça m’a donné envie d’en faire. Aujourd’hui, je suis fier de porter les couleurs du plus grand club de mon département. »
Cette façon de s’identifier à son idole s’appelle « modèle d’identification ou rôle modèle, explique Mathilde Julla-Marcy. C’est un vecteur d’incitation, de transmission ou d’encouragement. Cela donne une direction, un chemin et des idées. Bien qu’ayant de bons chiffres, le sport féminin manque parfois de figures emblématiques, de récits ou de médiatisations susceptibles d’encore davantage dynamiser la pratique ».
Par-delà tout le travail de chacun, le nombre de licenciés n’a jamais été aussi bon que quand les équipes de France performent ou qu’un événement planétaire comme une Coupe du monde sur le sol hexagonal met en lumière notre sport. « Les lois sociales de 1906 libèrent le dimanche et le fameux repos dominical, voire le samedi après-midi, qui deviennent un temps loisir, rappelle Sylvie Bossy-Guérin. Le rugby va, entre autres, en profiter. De tous temps, écouter puis voir une rencontre mémorable à la radio ou la télévision, voire assister à un match dans un stade, est une source de projection forte. Quand on voit, surtout avec des yeux d’enfant, on a envie de… Et la médiatisation du rugby est très forte en France. »
Des valeurs différentes
Se défouler pour les tempéraments les plus affirmés, canaliser les autres, émanciper certains et baigner dans le fameux « rugby, école de la vie » sont une autre voie menant à ce sport. À Larche, les valeurs d’Ovalie ne sont pas un vain mot. « Ethan a découvert le baby rugby dans un autre club, détaille Jérémy Labellie, le père de ce M8. Il a souhaité venir faire la journée d’essai et ça lui plaît. Personnellement, je joue au foot mais je regarde le rugby et le suis pas mal aussi. Je suis content également que mon fils évolue dans un club familial avec de belles valeurs. » La mère de Raphaël (M8), Elsa Martins Da Costa, partage cet avis : « Le rugby, c’est la vie ! Comme à la maison. Des notions de respect, de famille, d’ambiance ou d’entraide y sont présentes ou développées. Il a essayé le foot mais cela ne lui a pas plu. Il suit un cursus français-occitan en classe. Hormis le rugby, il ne pratique pas d’autre activité en dehors de l’école. »
Dans le Tarn, on a de l’énergie à revendre, à l’instar d’Hugo. « Je sautais un peu partout quand j’étais petit, alors mes parents, pour me canaliser, m’ont inscrit au rugby. Ça m’a plu, j’ai joué à tous les postes et je n’ai jamais abandonné. » En région parisienne, à Sucy-en-Brie, les valeurs du rugby sont un motif de choix. « En tant que mère, rappelle Sandy Tavares, ce qui me plaît dans l’activité, c’est l’esprit d’équipe. Le fait que ça soit un jeu collectif, les valeurs qu’il y a dans ce sport aussi. Il y a aussi l’aspect familial que j’aime bien, surtout à Sucy. Les gamins sont tous très proches. Quand il y en a un qui n’est pas présent à un entraînement ou à un match, les autres demandent après lui pour savoir ce qu’il y a. Il y a un esprit de groupe que l’on ne retrouve pas forcément dans les autres sports co. Mon fils fait aussi du tennis de table mais cet esprit famille, c’est vraiment au rugby qu’il est présent. »
C’est la fin d’entraînement à Sor Agout XV et David ramène son fils Nolhan (M10) au bercail. « Il a commencé la saison dernière en M8. Pour nous, le plus important est qu’il fasse du sport et soit heureux. » « Je jouais au foot, rappelle Nolhan, mais comme je suis costaud, je pensais avoir ma chance avec ce sport. Quand je joue au rugby, après, je me sens mieux. » Les valeurs du rugby ou l’esprit de famille sont souvent rappelés. Et ce sont des notions anciennes. « Dès les années 1910, note Sylvie Bossy-Guérin, on parle déjà du club au sens large : comme une famille avec un fort état d’esprit ! »
Pour autant, les freins existent sans doute pour les parents avant de pousser les portes d’un club. « Le sujet des commotions ou des troisièmes mi-temps ont pu inquiéter quelques parents il y a quelques années, avoue Mathilde Julla-Marcy. Mais le retour à des valeurs éducatives les conforte dorénavant. Un exemple, le côté incarné, familial et territorial d’Antoine Dupont rassure, en lien aussi avec les résultats des Bleus. »
