
Formation : Vers une formation professionnelle de l’arbitrage ?
L’union fait la force. C’est par ces mots inscrits sur un diaporama que débute la réunion au Centre national de rugby à Marcoussis. Autour d’un premier café, on parle rugby, volley-ball, handball, football, judo, tennis, basket-ball ou karaté, huit fédérations qui se réunissent pour la troisième fois cette année. Un an plus tôt, Philippe Marguin, chargé de mission bénévole à la Fédération française de rugby, avait déjà fait un constat : « Je me rendais compte que dans toutes les actions que j’ai menées, je travaillais constamment avec des bénévoles. Et j’observais jour après jour cet encadrement du rugby à tous les niveaux qui devenait de plus en plus professionnel, sauf dans le monde de l’arbitrage. J’y ai vu un manque à combler. »
Une rencontre va alors lui permettre de faire part de ses interrogations, celle avec Mélanie Percheron, arbitre internationale de judo sur l’IJF World Tour. « Elle m’a expliqué qu’elle avait la même problématique et qu’il serait intéressant d’en discuter. » L’expérimenté bénévole prend alors contact avec plusieurs fédérations sportives. Naîtront de cet appel une première réunion, une deuxième, puis une troisième à l’ordre du jour. Le projet est ainsi né.
Quand on demande aux acteurs le point fort de ce dessein, ils sont unanimes sur son interdisciplinarité : les problématiques d’arbitrage sont les mêmes, que le sport soit individuel ou collectif. « On peut mutualiser des choses, souligne Philippe Maguin. Je rêverais d’organiser des réunions où l’on aurait des arbitres de basket ou de hand, des juges de karaté et de ligne du tennis. Chacun pourrait apporter son expérience et transmettre des valeurs communes. »
Les arguments ne manquent pas non plus autour de la table pour faire naître cette formation professionnalisante à l’arbitrage. Pour Philippe Marguin, « gérer un conflit sur un terrain de volley ou un terrain de rugby relève de la même compétence ». Pour Jean-Pascal Fabris, directeur de l’Institut national de l’Emploi et de la Formation (INEF), la corruption pourrait aussi perdre du terrain. « Dans un monde professionnel où les paris sportifs sont autorisés, avec de grosses sommes en jeu et avec des gens du corps arbitral qui sont très mal payés par rapport à d’autres, le milieu est potentiellement plus corruptible. »
Il faut veiller à ce que tous les acteurs aient une reconnaissance « et ça passe aussi par une meilleure rémunération, mais aussi par une professionnalisation », renchérit le directeur. Tous s’accordent enfin à dire que l’exigence arbitrale, c’est aussi de l’exigence sportive. Mieux former un arbitre sublimera un sport et sa qualité de jeu.
Revoir le parcours de formation et analyser l’employabilité
Comme pour chaque projet d’envergure, les questions n’ont pas manqué au cours de cette réunion. « Qu’entend-on dans la question du développement arbitral ? lance Valentin Coudert, responsable des relations avec les territoires à l’Institut de Formation du Football de la FFF, notamment dans son aspect politique. Ce sont majoritairement des bénévoles qui forment des arbitres sur nos territoires. Si on renverse la table et que l’on dit au club : “Maintenant vous payez un formateur”, il faudra que politiques et élus fassent du terrain. »
Une cohabitation entre les bénévoles et les professionnels n’est pas incompatible pour Marion Kellin, vice-présidente de la FFR en charge de la formation, mais plutôt complémentaire. « On a besoin d’avoir ces bénévoles sur notre territoire. Mais il y a des conseillers techniques de club qui existent aujourd’hui, on pourrait avoir des conseillers techniques à l’arbitrage qui s’occupent d’un bassin de clubs et qui viennent faire de la formation pour accompagner nos bénévoles. » Le rôle des directeurs d’arbitrage de la Ligue (DAL), postes créés pour l’arbitrage dans des Ligues régionales qui ont installé des postes salariés sur des postes initialement bénévoles, est aussi un exemple évoqué à utiliser dans la réflexion d’une cohabitation.
Marion Kellin milite pour une approche différente de la formation naissante, soulignant des parcours parfois difficiles pour les arbitres en devenir. « Dans les formations d’éducateurs sportifs, que ce soit BPJEPS, DEJEPS ou même DESJEPS, les arbitres ont des difficultés à entrer parce qu’ils n’ont pas les prérequis d’encadrement d’une équipe de rugby à quinze. S’ils y arrivent, ils sont en difficulté dans la formation parce qu’ils viennent ici pour être formateurs en arbitrage plutôt que pour le métier d’entraîneur ou d’éducateur. »
Un constat qui les met en échec sur les examens et auquel il faut remédier. Philippe Marguin est quant à lui pragmatique sur la question de l’employabilité. « On ne va pas créer 5 000 emplois, il ne faut pas rêver. Mais j’ai retenu qu’il y a plein de fédérations dans lesquelles on a un manque clair. La FFF compte une centaine de personnes qui sont employées pour faire ce métier sans y être formées, c’est ce qui interpelle. »
À long terme, ces postes créés pourraient avoir des évolutions par leur large palette. « Je peux commencer à l’école de rugby, encadrer une équipe de jeunes, devenir directeur d’un centre de formation d’arbitres, résume-t-il. Il y a tout un panel qui fait qu’on peut avoir des fonctions différentes. »
L’arbitre au service du jeu
Marqué par une expérience de tournoi de jeunes M20 en Afrique du Sud où de nombreux arbitres étaient présents en bord de terrain pour expliquer les règles en temps réel, Philippe Marguin pointe du doigt une certaine discrétion de l’autorité arbitrale dans les clubs. « Les arbitres sont parfois dans une case à part. Ils doivent faire partie de la famille, pour mieux sensibiliser ou dialoguer. Il faut poser des questions à un arbitre dans son club, demander un avis sur une décision arbitrale du week-end et c’est comme ça qu’on créera du dialogue. L’arbitre est au service du jeu et donc des joueurs. »
Pour Marion Kellin, il faut s’appuyer sur ce qui a fonctionné. « Il y a quelques années, nous avons lancé le dispositif l’Arbitre Acteur au Cœur de son Club, le 2A2C. Il a très bien fonctionné avec des arbitres qui ont pris contact avec leur club, sont venus aux entraînements, pour être présents et échanger avec les jeunes ou les entraîneurs en répondant à leurs questions. »
Honorés par la présence de Maud Corso, membre de l’Organisme certificateur de la branche du sport (OCS), prodigueuse de conseils pour cette réunion, les acteurs fédéraux de ce projet marchent aujourd’hui dans la même direction. Avec le souhait d’offrir à nos sports français une formation professionnalisante à l’arbitrage délivrable par France Compétences.
