
Ligue Île-de-France : Quartier fibre rugby
Voilà désormais plus de cinq années que la Ligue Île-de-France de rugby (LIFR) adapte sa politique régionale à une priorité : renforcer sa présence aux quatre coins de la Ligue au cœur des quartiers populaires. Un défi qui demande du temps et des moyens car ancrer le rugby localement, dans un territoire où le football est majoritairement roi dans la culture sportive, n’est pas une chose facile. Ces moyens mis en place se traduisent par le recrutement de douze à quinze postes d’animateurs sportifs territoriaux (AST) par an sur la région francilienne.
Détachés par la LIFR auprès de clubs demandeurs, ces derniers ont l’importante mission de coordonner des actions entre le club et des organismes associatifs ou scolaires des quartiers populaires de leur bassin. La formation s’étale sur une année en alternance. La partie théorique est assurée à la Ligue, tandis que la mise en pratique se déroule au sein des clubs, qui identifient en ces jeunes profils leurs futurs AST. Sur le terrain, cela se traduit par des actions menées en partenariat avec les municipalités, les écoles ou directement au cœur des quartiers. À l’issue de cette année charnière, le poste se pérennise en cas de satisfaction des deux parties.
Andreja Zivanovic, qui fait partie des nouveaux visages de la promotion d’apprentissage 2025-2026 à la LIFR, occupe le poste d’AST depuis septembre au Racing Club Livry-Gargan, un club qui lui est plus que familier puisqu’il y joue depuis une décennie : « Le club m’a sollicité pour prendre en main ce poste. J’étais en STAPS et on m’a proposé un BPJEPS. Depuis cinq ans, j’aide à l’entraînement des jeunes de l’école de rugby, cette nouvelle mission me permet aujourd’hui de m’investir encore davantage dans la formation. »
Un jour de novembre, à Clichy-sous-Bois, il est épaulé par Lucas Donner, responsable du club depuis quatre années et qui supervise en cette matinée le travail d’Andreja qui intervient dans le cadre d’un stage de vacances scolaires. Un stage conjointement organisé avec le Club municipal des sports (CMS) de la ville pour initier les enfants âgés de 6 à 12 ans de la commune à divers sports.
Lucas Donner connaît bien le secteur : « Cela fait maintenant deux ans que l’on travaille sur Clichy-sous-Bois dans le scolaire et les centres de loisirs,souligne-t-il. Nous intervenons évidemment sur Livry, mais aussi sur Le Raincy et depuis cette année à Vaujours et Coubron dans le scolaire. Nous essayons de diversifier l’offre du rugby dans les villes alentour, où l’on part presque de zéro car il n’y a pas du tout de culture du rugby. »
Le défi est donc de taille, dans un bassin où il nous confie que les enfants ne connaissent pour la plupart que le football, sans connaître les bases de sports comme le rugby, le handball ou le basket, ce qui n’empêche pas de brasser énormément d’initiés dans le bassin. Le recrutement d’Andreja en tant que second employé du club entend aller dans le sens de cette dynamique.
Lucas Donner : « L’an dernier, sur le volet scolaire, les actions menées au Raincy, à Clichy-sous-Bois et à Livry-Gargan ont permis de sensibiliser environ 1 200 élèves. Parmi eux, 1 % ont ensuite rejoint le club, soit une douzaine d’enfants supplémentaires à l’école de rugby. Avec l’arrivée d’Andreja, nous espérons toucher un public encore plus large, jusqu’à 2 000 élèves, et ainsi doubler ces retombées, avec une vingtaine de nouveaux jeunes à découvrir et à former. » Une ressource importante à prendre en compte pour un club qui compte aujourd’hui dans ses rangs près de 90 enfants dans son école de rugby, qui rassemble des jeunes de 6 à 14 ans.
AST, un renfort important pour les clubs
À Lagny-sur-Marne, Elian Bismes, 22 ans, entame déjà sa deuxième saison comme animateur sportif territorial. Recruté à l’issue d’une année d’alternance concluante, il a su convaincre l’AS Lagny Rugby et son tuteur, Rémi Charavin, co-dirigeant du club en charge du scolaire et des quartiers prioritaires. Présent entre deux et trois jours par semaine en cours à la LIFR, Elian avait déjà un contrat d’apprentissage de 35 heures l’an dernier.
Un renfort que le club n’a pas hésité à saisir pour répondre à une de ses priorités de développement, comme l’explique Rémi Charavin : « Juste à côté du parc des sports se trouve le quartier Orly Parc, classé parmi les quartiers prioritaires de la ville. Nous avons constaté que nous y étions encore peu présents, alors qu’un véritable échange pouvait s’instaurer, bénéfique pour tous. Grâce au dispositif d’alternance du BPJEPS, nous disposons désormais d’une personne formée et accompagnée par la Ligue pour développer ces actions de terrain. »
Comme beaucoup de clubs qui doivent composer avec un modèle exclusivement bénévole, l’AS Lagny a pu avec ce dispositif recruter le tout premier employé de son club, et ce à plein temps. « Je suis un passionné de rugby, confie avec conviction Elian Bismes. Faire découvrir le rugby à un large panel de personnes est quelque chose qui m’anime et qui me fait me lever le matin. »Il y voit une véritable mission : transmettre l’esprit d’équipe et les valeurs de ce sport à ceux qui n’y ont encore jamais goûté.
Joueur depuis l’âge de 7 ans, il intervient quotidiennement, aussi bien au sein du club qu’à l’extérieur. Sur le scolaire, six classes d’une trentaine d’élèves en primaire viennent garnir son emploi du temps. Lors des vacances, ce sont des stages qu’il organise, à destination des enfants de la ville mais aussi de l’école de rugby de l’AS Lagny.
Et dans ces actions menées, le club est aussi attentif à l’enjeu de la féminisation du rugby. Une prise en compte qui s’est traduite depuis l’an dernier par la mise en place d’un entraînement 100 % féminin, tous les mercredis sur le rectangle vert. Rémi Charavin y a vu une opportunité : « Nous avons tout de suite senti dans les actions que nous avons menées que les filles avaient plus d’intérêt que les garçons, il y a un noyau dur qui est en train de se créer ici. Alors dans ces catégories d’âge-là, où les garçons et les filles ont des entraînements mixtes, nous avons voulu apporter une offre supplémentaire féminine. »
Développer le rugby féminin
Elles sont aujourd’hui quinze jeunes filles, du primaire et du collège, à fouler hebdomadairement les terrains avec Elian. L’investissement du club et de ce dernier pour développer le rugby féminin se manifeste aussi par la participation à des actions organisées par la Ligue, comme les journées « Rugby pour Elles ». Un événement qui s’inscrit dans cette priorité du club.
L’analyse est unanime du côté de la Ligue comme des encadrants des clubs : l’Île-de-France est en tous points une immense réserve de jeunes talents. « On le voit dans différents sports de haut niveau en France, admet Lucas Donner. Le vivier de jeunes aux qualités athlétiques et physiques remarquables est immense, et notre mission est de parvenir à davantage sensibiliser et à attirer tous ces potentiels vers le rugby. »
Un constat qui se traduit avec des talents de la région de plus en plus présents dans les clubs de l’élite du rugby masculin, mais surtout à la plus haute marche du rugby féminin. Rien que dans le quinze de départ aligné en demi-finale de la Coupe du monde féminine de rugby 2025 face à l’Angleterre, elles n’étaient pas moins de six à avoir touché leurs premiers ballons en Île-de-France (Nassira Kondé, Joanna Grisez, Émilie Boulard, Madoussou Fall Raclot, Gabrielle Vernier, Yllana Brosseau).
Si prouver que le talent est là n’est plus nécessaire, il faut le réveiller en combattant un fléau nommé sédentarité que peuvent subir ces quartiers populaires. L’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps) mettait déjà cela en évidence en 2017 dans une école locale francilienne : seulement 52 % des enfants scolarisés dans les quartiers prioritaires pratiquaient un sport hors école, contre 68 % pour des enfants issus d’écoles hors quartiers prioritaires.
Une sédentarité qui concerne donc sur cette décennie près d’un écolier sur deux en QPV. « Il est nécessaire de lutter contre cette sédentarité, confie Elian Bismes. Il faut faire bouger ces jeunes qui incarnent une génération qui fait de moins en moins de sport avec plus de temps d’écran. On veut les faire venir et leur donner envie de se dépenser régulièrement dans la bonne humeur. » Mais face à ce vivier exceptionnel de jeunes sportifs, chacun mesure toutefois un défi : rassurer des parents parfois impressionnés par l’image rugueuse du rugby diffusée à la télévision, et leur montrer qu’il s’agit avant tout d’un sport d’apprentissage, de respect et de partage.
Ce constat pousse les AST et les clubs à aller au-devant des familles pour créer un vrai dialogue. Ils interviennent directement au pied des immeubles afin d’échanger avec les parents et leur faire découvrir une image plus accessible et éducative du rugby. Dans les écoles, expliquent-ils, la pratique se fait avec un rugby à toucher, avec des jeux centrés sur l’évitement et la maîtrise du contact, en utilisant les règles d’un rugby adapté.
Toutes ces actions permettent de sortir de l’image d’un sport rude, en montrant les alternatives à explorer hors du rugby à quinze. « Il y a d’autres pratiques, poursuit Lucas Donner. Nous avons le rugby à sept, à cinq, le flag-rugby… Avoir une section pour les divers handicaps nous aide aussi avec le para adapté. Les parents qui les voient pratiquer peuvent alors se dire : “Ils ont un handicap et ne se font pas mal, alors pourquoi pas mes enfants ?” »
La Ligue Île-de-France entend s’ancrer durablement au cœur de ces territoires populaires. Tous les acteurs du projet en sont persuadés : un engagement régulier et de proximité auprès des QPV permettra non seulement de révéler un formidable potentiel, mais aussi de transmettre une culture rugby et des valeurs universelles, ouvertes à toutes et à tous pour des quartiers qui ont la fibre rugby.
