thumbnail

J’ai choisi le rugby : Quand le rugby vient vous chercher !

Être Acteur
On ne va pas toujours vers le rugby ; parfois, c’est le rugby qui vient vous chercher. Témoignage avec Germain Cazorla, dans l’archipel des Mascareignes, à La Réunion. L’entraîneur du club de la ville du Tampon fait figure de pionnier. À 35 ans, il a transformé le Tampon Rugby Club en un véritable moteur social. Son arme ? Le ballon ovale, la solidarité et la mixité.

Lorsque Germain Cazorla quitte la métropole, où il est parti s’installer quelque temps pour finir ses études, pour revenir à La Réunion se faire opérer de l’épaule, il n’a qu’une idée en tête  : revoir le club qui l’a vu grandir. Et le choc est brutal. Le club du Tampon n’est plus que l’ombre de lui-même, en pleine perdition. « Je ne pouvais pas laisser ça », confie-t-il. Les dirigeants de l’époque lui proposent un « contrat aidé » pour tenter d’inverser la tendance. Il se retrousse les manches. Et dix ans plus tard, chaque catégorie a retrouvé ses effectifs.

Le secret de Germain Cazorla  ? Sans doute a-t-il détourné la célèbre phrase de Lagardère dans le film Le Bossu  : « Si tu ne viens pas au rugby, le rugby ira à toi ! » Déplacer le ballon ovale au pied des kaz, faire venir le rugby dans les quartiers les plus défavorisés du Tampon, donner envie aux jeunes d’essayer… juste une fois. Il va même chercher les gamins en bus ou avec sa voiture personnelle grâce au projet Run Rugby City (voir encadré) créé par la Ligue de rugby de La Réunion avec pour but qu’ils intègrent le club. « Certains montent pour la première fois dans un véhicule, insiste Germain Cazorla, d’autres n’ont jamais pris l’avion avant de partir en déplacement. Je me souviens d’un jeune joueur qui n’avait jamais vu la mer avant notre départ pour un tournoi sur l’île Maurice. Voir leurs yeux briller, ça vaut toutes les victoires. »

Certaines expériences sont inoubliables. Une jeune fille issue des quartiers a pu assister à une finale du Top 14 avec Toulouse  : « Elle n’en revenait pas. Elle n’avait jamais mis les pieds dans un grand stade. » Ou encore, à Paris, les plus petits ont découvert le métro et les pigeons dans les parcs. Pour certains, le rugby est plus qu’un sport, c’est un horizon, une fenêtre ouverte sur le monde. « Ces voyages font briller les yeux et élargissent les distances. Et ça montre qu’avec du courage et de la solidarité, tout est possible », insiste Germain dont les motivations pour aider les enfants en difficulté viennent aussi de son histoire personnelle.

Sa mère, enseignante et présidente du club pendant plus de dix ans, lui a transmis le goût du partage et de l’engagement. Sa petite enfance passée à Mayotte, loin des repères métropolitains, l’a sensibilisé très tôt à la solidarité et à l’ouverture aux autres. « La solidarité est dans mon ADN », résume-t-il. Solidarité et partage matériel, les moyens restent néanmoins limités. Pour les déplacements, le club organise dîners dansants, ventes de maillots ou pièces de théâtre. Sur le terrain, la solidarité se manifeste au quotidien  : « Certains gamins arrivent au club pieds nus ou en savates à deux doigts. Quand les crampons deviennent trop petits pour les grands, ils les donnent à un plus jeune. Lé pa l’argent ki fé nou lé fort, c’est l’esprit. »

Illustration de la page J’ai choisi le rugby  : Histoires d’un choix !

J’ai choisi le rugby  : Histoires d’un choix !

De tous temps, on se lance dans une pratique sportive pour des raisons diverses. Héritage familial, copains, école, valeurs, idoles ou nouvelles pratiques :…

Le rugby, vecteur d’intégration

À La Réunion, la société s’est construite sur un métissage unique  : Créoles, Comoriens, Indiens, Chinois, Métropolitains, Malgaches ou Mahorais cohabitent au quotidien. Cette diversité n’est pas qu’un simple constat démographique, elle façonne une culture où l’on apprend très tôt à partager, à respecter ; une véritable philosophie qui dépasse les différences d’origine, de religion ou encore de milieu social. Toutes les communautés se retrouvent ainsi sur le terrain tamponnais.

Et le rugby devient un vecteur d’intégration. « La culture rugby métropolitaine est peu présente ici. Mais le partage, la mixité, c’est notre force, avance Germain avant d’ajouter  : Ici, on forme des joueurs, mais surtout des personnes. Ils portent un maillot et un logo, ça engage leur comportement. »

Et l’éducateur ne s’arrête pas au terrain. Beaucoup de gamins ont besoin d’accompagnement scolaire. Au sein de l’école de rugby, un système d’aide aux devoirs avant les entraînements avait été mis en place. Malheureusement, faute de subventions, ce projet n’a pas pu être renouvelé cette année. « C’est dur de dire à un enfant  : “Cette année, pas de devoirs au club.” On sent bien que ça les fragilise », confie-t-il avec regret.

Une des autres difficultés que rencontre Germain, étant donné la situation géographique de son club, est la fermeture de l’unique terrain de rugby en période de pluie  : « Ça complique le calendrier. Trois mois sans entraînement en début d’année. Il nous faudrait un deuxième terrain, pour continuer à former et donner des perspectives à nos jeunes », explique l’entraîneur avec un véritable souci de fidélisation des licenciés. La formation et l’accompagnement des jeunes restent au cœur de l’action pour maintenir l’attrait de la pratique.

Germain et son équipe gardent un lien très fort avec leurs ouailles. Exemple avec les jeunes talents dès 14-15 ans  : ils les accompagnent pour poursuivre leur carrière, que ce soit à La Réunion ou en métropole. Chaque départ est suivi par le club  : contacts avec les clubs métropolitains, soutien et explications à la famille, préparation à l’intégration. « Nous ne les envoyons pas seuls. C’est notre rôle de créer ce lien durable, de leur donner toutes les chances de réussir. » Son rêve  : que ses joueurs puissent un jour « sauter la mer » et rejoindre l’élite nationale. Un message pour les générations futures.

Pour Germain, le rugby est un outil de vie. Respect, partage, entraide  : ce sont des valeurs humaines que le sport met en lumière. « Servez-vous de ce que le rugby vous apporte comme d’une force. Et n’oubliez jamais  : ansam nou lé pli for (ensemble, nous sommes plus forts). » Et de conclure  : « Le rugby m’a tout donné, aujourd’hui je veux que chaque enfant puisse ressentir cette fierté et cette ouverture au monde. Pour cela, quand ce n’est pas spontané, il faut aller les chercher et les convaincre de nous rejoindre, conclut-il. Nou ké kontinié bat’ karé ansanm – nous continuerons à tracer notre chemin ensemble. »

Partagez cet article

Avatar de La Rédaction

La Rédaction

30/10/2025